jeudi 8 avril 2021

Progressisme, diversité... quelle idéologie derrière Netflix ?

Si la célèbre plateforme de vidéos à la demande par abonnement se dit soucieuse de montrer le monde tel qu'il est, dans toute sa diversité, le catalogue Netflix semble pourtant particulièrement orienté.

La série Pose sur Netflix est une plongée dans le New York des années 80, elle raconte les multiples discriminations subies par des travailleuses du sexe, transsexuelles et noires essayant tant bien que mal de s'intégrer dans cette «société hétéronormative et cisgenre», dixit Konbini.

Le temps des barricades révolu, le feu de la révolte se répand désormais à coups de mots-croisillons (mots dièses/hashtags). Sur Twitter, on énonce, on dénonce, on appelle au boycott aussi. Et cette année-là, en 2018, les conservateurs américains prirent Netflix en grippe avec le mot-dièse : #boycottNetflix, une façon d'exprimer leur indignation face au virage bleu (la couleur des démocrates aux États-Unis) qu'a selon eux enclenché la marque au logo rouge, ces dernières années. Dans leur viseur : les sympathies affichées par le PDG fondateur, Reed Hastings, à l'égard du parti démocrate, des prises de position contre Donald Trump, la levée de fonds de Ted Sarandos, le directeur des contenus de l'entreprise, pour Barack Obama lors de sa deuxième campagne électorale, un juteux contrat signé avec les Obama pour développer une série de contenus autour du couple, et l'arrivée au conseil de direction d'une ancienne conseillère de l'ex-locataire de la Maison Blanche. La goutte d'eau pour la droite conservatrice. Sur les réseaux sociaux, elle interpelle les dirigeants de la plateforme de vidéos en ligne ; les tweets indignés pleuvent par dizaines de milliers dans l'espoir de voir des internautes renoncer à leur abonnement... avec le succès que l'on connaît. L'insolente réussite de Netflix se poursuit, au point que les chiffres de l'année 2020 sont si impressionnants qu'ils ne nous disent rien. Pour paraphraser l'espion OSS 117 dans le film de Michel Hazanavicius, vous voyez ce que ça fait 204 millions d'abonnés dans le monde (+37 millions en un an), 6,6 milliards de dollars de chiffre d'affaires et 542 millions de dollars de bénéfice ?  [Il faut se méfier pourtant des chiffres d'audience que Netflix publie... et 2020 est une année exceptionnelle sans la concurrence des cinémas et les confinements qui ont enfermé tant de gens.]

Racisme systémique, destruction du patriarcat et féminisme intersectionnel

Par-delà cette série d'événements, le contenu des productions ulcère une frange plutôt conservatrice de la population. Les séries et les films valoriseraient avec une bienveillance doucereuse les concepts en vogue au sein d'une partie de la gauche, comme le féminisme intersectionnel ou le «racisme systémique», ou s'emploieraient à «détruire le patriarcat». C'est le cas du film «Moxie», l'histoire d'une ado timide de 16 ans qui publie une revue anonyme dénonçant le sexisme dans son établissement scolaire, dont les réseaux sociaux de l'entreprise ont fait la promotion début février. Faut-il y voir le fantasme de réactionnaires zélés qui verraient du «gauchisme partout» ou alors, le monde selon Netflix est-il vraiment empreint de progressisme ? Une chose est sûre, les adeptes de fictions aux thématiques ouvertement progressistes en ont pour leur argent, et les médias ne s'y trompent pas.

Le magazine féminin belge L'Officiel a listé «six séries pour s'éduquer/lutter contre le racisme systémique», le défunt site Buzzfeed a noté «16 séries à regarder sur Netflix quand vous en avez marre du patriarcat» et Konbini a recensé «dix séries pour comprendre le racisme systémique» (actant ainsi l'idée selon laquelle il existerait un racisme inhérent à notre société) - parmi lesquelles «Pose», série qui coche toutes les cases de l'idéologie dominante au sein de l'aile gauche du parti démocrate américain. Elle se déroule dans le New York des années 1980 et raconte les multiples discriminations subies par des travailleuses du sexe, transsexuelles et noires essayant tant bien que mal de s'intégrer dans cette «société hétéronormative et cisgenre», dixit Konbini, qui en tire cette conclusion: «Pose nous dit une chose primordiale : black trans lives matter». Une fois la série visionnée, l'algorithme dirige d'ailleurs le spectateur vers d'autres productions similaires, à l'image d'un documentaire-enquête sur les «identités trans», ou la série «Dear white people». Le synopsis: Samantha White, une étudiante afro-américaine profite de son temps de parole dans une émission de radio de son campus pour s'en prendre aux comportements racistes dans son établissement où ses camarades s'adonnent au «blackface» (le fait de se grimer en noir), s'attirant ainsi la haine et la rancœur des blancs. On voudrait donner du grain à moudre aux pourfendeurs de Netflix qu'on ne s'y prendrait pas autrement.

L'identité, préoccupation occidentale numéro un

Concernant les productions «original Netflix» (les productions maison), la balance entre progressisme et «anti-progressisme» est loin d'être parfaitement étalonnée, celle-ci a tendance à pencher du premier côté avec le risque pour ses dirigeants de voir le plateau mal calibré leur sauter au visage. Évidemment, ces exemples ne suffisent pas à dépeindre l'intégralité du catalogue proposé. On trouve de tout sur Netflix y compris des longs métrages accusés de faire la part belle aux idées plus traditionnelles, à condition de mettre la main dessus. «Une ode américaine», le dernier film de Ron Howard, retrace par exemple le destin des invisibles, les oubliés de l'Amérique périphérique. Pour les séries, il faut chercher du côté des fictions israéliennes, à l'image d'Homeland, qui se sont imposées dans le monde entier. La clé de leur succès: elles abordent le retour du religieux et la question de l'identité devenue lancinante dans toutes les sociétés occidentales dont Pascal Bruckner ou Alain Finkielkraut font régulièrement écho dans leurs ouvrages. En 2014, Mekimi relatait l'histoire d'une jeune femme de gauche, de Tel Aviv, présentatrice télé brillante d'une émission idiote, qui quitte cette vie face caméra pour mener une vie de juive orthodoxe avec l'homme qu'elle aime. L'année passée, en 2020, Unorthodox racontait l'émancipation et la fuite à Berlin d'une jeune Juive ultraorthodoxe américaine. Plus récemment, Les Shtisel a connu un engouement indéniable. Le speech de la troisième saison ne paye pas de mine: une grossesse cachée, un mariage blanc, et un amour contrarié. Des péripéties dignes de n'importe quel feuilleton à l'eau de rose, mais sa force repose sur le fait qu'elle évoque le quotidien du milieu juif ultraorthodoxe.

Polarisation des esprits

Doit-en conclure qu'un consommateur assidu de contenus Netflix se transformera en électeur de Benoît Hamon et collera des affiches d'Alexandria Ocasio-Cortez, l'élue démocrate au Congrès américain et icône de la gauche dans sa chambre ? Non. La raison tient en une expression: l'apprentissage automatique, une technologie d'intelligence artificielle au nom barbare qui analyse de façon très poussée le comportement de l'utilisateur. L'algorithme l'incitera à regarder telle ou telle vidéo en changeant la vignette de présentation par exemple avec une image d'une scène spécifique, et lui proposera à celui qui ne cherche pas des contenus progressistes d'autres vidéos plus proches de ses valeurs, de sa conception du monde, à la manière de Facebook et sa bulle d'algorithmes qui laisse penser qu'une majorité d'êtres humains sur la planète partagent les mêmes opinions que vous. Chacun conforte ainsi ses propres positions. Dans son livre, Jérôme Fourquet pointait très justement du doigt notre société en voie d'«archipélisation». Nous y sommes, et Netflix n'y est pas étranger.

Source : Le Figaro

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